A l’heure de l’accélération des GAFA et des BATX, le destin numérique de l’Europe se joue également au Sud. Comment inventer une alliance numérique entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique au service du bien commun ?
Jeudi 5 décembre – Jour 2 – Plénière 7 – Auditorium, thecamp – 15h00 – 16h10
Modération par Samir ABDELKRIM, Fondateur d’EMERGING Valley
& Sarah MARNIESSE, Responsable du Campus de l’Agence Française
Panélistes :
- Tibou KAMARA – Ministre des PME et de l’Industrie, Ministre Conseiller du Chef de l’État– Guinée
- Papa Amadou SARR – Ministre, délégué́ général à l’Entreprenariat Rapide – Sénégal
- Dr Taleb SID AHMED – Ministre de l’Emploi, de la Jeunesse et des Sports – Mauritanie
Yahouza SADISSOU– Ministre de la Recherche et de l’Innovation – Niger
- Salwa TOKO – Présidente du Conseil National du Numérique – France
- N’Goné FALL – Commissaire Générale de la Saison Africa 2020 – France
- Patricia RICARD – Présidente de l’Institut océanographique Paul Ricard- France
Mise en contexte
En aout 2018, la capitalisation boursière d’Apple dépassait le seuil symbolique des 1 000 milliards de dollars, suivi peu après par Amazon, avant Microsoft en avril dernier. Une poignée d’entreprises définit ainsi le quotidien numérique – et avec lui le mode de vie – de milliards de citoyens à travers le monde. Devant les enjeux politiques gigantesques portés par un tel contrôle, des modèles concurrents s’affirment à très grande vitesse, avec en tête celui de Pékin et de ses BATX - Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi. Face aux anti-modèles sociaux, démocratiques et environnementaux, quelle voie du milieu pour l’axe Europe-Méditerranée-Afrique ? Comment capitaliser sur notre patrimoine commun et les valeurs humanistes pour mettre le numérique au service de nos sociétés ? Celui qui contrôlera l’intelligence artificielle – alimentée par les données - contrôlera le monde estimait Vladimir Poutine. En plus d’être économique, l’enjeu porte également sur les libertés individuelles, et l’Union européenne l’a bien compris qui bataille depuis des années pour la protection des données de ses consommateurs, tandis qu’une taxe GAFA est à l’étude depuis quelques mois, et active depuis cet été sur le territoire français. Alors que la guerre économique entre Chine et États-Unis - qui passe par l’imposition de leurs modèles numériques respectifs - affecte l’ensemble des marchés mondiaux, quelles initiatives mettre en place, de Bruxelles à Johannesburg en passant par Casablanca, pour s’émanciper de ces logiques d’influence ? Europe, Méditerranée et Afrique ont tout à gagner à associer leurs milliards de consommateurs pour promouvoir un modèle social divergeant, qui veille au bien-être des citoyens et à un destin numérique commun tourné vers le bien commun. Cet enjeu brulant et au cœur de la politique de demain : dans son premier discours de Présidente de la Commission européenne prononcé la semaine dernière, Ursula Von Leyen l’a affirmé : « l’Europe de 2050 sera une puissance de premier plan dans le numérique. Elle restera l’économie qui réussit le mieux à assurer l’équilibre entre le marché et le social ».
prise de parole
Investir dans les infrastructures de communication C’est Tibou KAMARA, Ministre des PME et de l’Industrie deGuinée, qui a ouvert la plénière en se réjouissant du fait qu’EMERGING Valley soit dans l’esprit du partenariat stratégique recherché par l’Europe et l’Afrique, et que des propositions concrètes aient déjà émergées au cours du Sommet pour avancer en ce sens, tandis que les startups guinéennes ont pu rencontrer des investisseurs, à l’heure où le privé comme les bailleurs s’engagent auprès des startups africaines. L’écosystème est selon lui en train de se structurer, et l’enjeu numérique n’échappe à aucun État. La Guinée a développé en ce sens une politique publique claire, accompagnée des investissements nécessaires : l’État a considérablement investi dans les infrastructures de télécommunication pour améliorer la connectivité, notamment dans un câble sous-marin, ce qui a permis par ricochet le développement des services financiers mobiles, dans les filières professionnelles et agricoles.
« L’innovation technologique est le défi de notre époque, notre 4èmeRévolution, et cela doit se ressentir dans la gouvernance économique et sociale, tout comme dans les choix politiques que nous avons à faire, pour en tirer le meilleur parti pour nos populations »
T. Kamara
Lever les contraintes juridiques pesant sur les investisseurs
Poursuivant la première intervention, le Dr Taleb SID AHMED, Ministre de l’Emploi, de la Jeunesse et des Sports de Mauritanie a expliqué qu’il était présent à EMERGING Valley pour accompagner les jeunes entrepreneurs mauritaniens, et qu’après avoir observé leurs pitchs sur ces deux jours, il était confiant et convaincu que l’écosystème d’entrepreneuriat digital de son pays est réellement en train de prendre son envol. La Mauritanie fait face à des défis, et notamment au chômage des jeunes pour lequel elle souhaite s’investir. L’Afrique est arrivée au stade où le digital est en train de créer un nouveau modèle économique et ce n’est pas facile, selon le Ministre, pour ces jeunes puisque les pouvoirs publics n’ont pas suivi, et n’ont pas jusqu’alors aidé cette nouvelle génération, qui fait tout par elle-même. C’est pourquoi aujourd’hui l’État mauritanien agit pour faire évoluer la régulation notamment, avec le Code d’investissement, qui va leur donner de l’espace pour lever les contraintes et qu’ils puissent faire leur travail. Il faut également être pragmatique selon lui : le digital est important, mais il ne sera pas la solution à tous nos problèmes économiques et sociaux, puisque nous avons un déficit de compétences à combler et des systèmes éducatifs à repenser. Si nous ne nous attaquons pas d’abord à ces problèmes, nous resterons à la traine.
« Le digital est important, mais il ne sera pas la solution à tous nos problèmes économiques et sociaux : nous avons un déficit de compétences à combler, des systèmes éducatifs à repenser, sans quoi nous resterons à la traine »
Dr T. Sid Ahmed
Forger un Startup Act et s’engager dans le venture-capitalism d’Etat
Papa Amadou SARR, Ministre délégué général à l’Entreprenariat Rapide (DER) du Sénégala ensuite pris la parole en précisant qu’était organisé en parallèle d’EMERGING Valley à Dakar le « Dakar Digital Show », en partenariat avec Sonatel et Orange. Il est revenu sur un combat majeur mené par le Sénégal, qui avait été annoncé en décembre dernier à EMERGING Valley : le Startup Act. La DER a organisé la rencontre du Chef d’Etat avec près de 500 jeunes startuppeurs, pour débattre sur l’économie numérique, le digital, ses financements,..Ladécision a immédiatement été prise de se donner un an pour faire du Sénégal une startup Nation, avec un environnement fiscal et règlementaire favorable. Un an plus tard, c’est chose faite : la DER a travaillé avec les startuppeurs, le ministère des Finances, celui des Télécoms, la Banque mondiale. Aujourd’hui cela a été validé par le Conseil des ministres, pour passer au parlement la semaine prochaine et créer le 1erStartup Act d’Afrique francophone. Le Sénégal a débloqué 15 milliards FCFA (près de 30 millions €) pour le secteur, et se place ainsi en « State venture-capitalist » !
« Faire du Sénégal une Startup Nation, avec une taxation flexible pour startups et PME, telle qu’une période de grâce de 3 à 5 ans qui leur permette de se développer »
P.A. Sarr
Encourager des modèles numériques alternatifs et éthiques
Le Conseil National du Numérique (CNN), Présidé par Salwa TOKO, est un organe consultatif de 30 membres qui existe depuis 8 ans et a pour objet de faire des recommandations de politiques publiques, avec beaucoup de ponts vers l’international. Penser le numérique en France sans l’Europe est hors de propos selon elle, et quel que soit le Continent : Afrique, bloc asiatique ou Continent américain, personne ne peut y arriver tout seul et tout est interconnecté, car les géants du Web ont connecté toute la planète. Selon le CNN, dépasser les enjeux du numérique ne signifie pas forcément adopter les politiques de développement économiques pratiquées aux États-Unis ou en Chine. Il faut garder en tête que la puissance publique dans ces 2 blocs a massivement investit dans ses startups pour en faire des géants économiques : Google, comme Alibaba étaient des startups. En Europe et en France, la tendance pousse aujourd’hui à faire de même pour développer des licornes, ce qui n’est pas l’avis du CNN qui pense que l’émergence de géants européens ne garantirait pas un modèle social positif. Ils recherchent de nouvelles solutions, propres à faire émerger de nouveaux modèles plus sociaux et inclusifs.
« Sans les investissements massifs de la puissance publique dans Google ou Alibaba aux États-Unis et en Chine, leur invasion économique n’aurait pas être aussi rapide ni aussi agressive »
S. Toko
Le digital comme vaisseau des connaissances
Patricia RICARD, Présidente de l’Institut océanographique Paul Ricard, revient ensuite sur le Sommet des deux rives, qui a permis à ses yeux de faire tomber beaucoup d’idées reçues, et tout d’abord le fait que le rapport Nord-Sud peut s’inverser en Méditerranée, avec les pays du Sud de l’Europe d’un côté, et ceux du Nord de l’Afrique de l’autre, qui n’ont cessé de chercher des convergences. Beaucoup de projets en ont émergé et elle y a fait la rencontre de Samir Abdelkrum, auteur de Startup Lions, dont elle a lu le livre et qui lui a permis de découvrir qu’on pouvait associer solidarité, progrès social et humanisme à un appareil digital. Revenant sur la Méditerranée, elle précise que les scientifiques disent souvent qu’elle est un laboratoire et partage une réflexion d’Emmanuel Delannoy, qui explique que nos valeurs se sont inversées depuis le XVIIIèmesiècle, avec aujourd’hui des connaissances abondantes et des matières premières rares. Cela, porté par le digital, pourrait selon elle être le vaisseau d’une nouvelle civilisation emmenée par de nouvelles valeurs et par les connaissances, qui enrichissent chacun de nous.
« Startup Lions, l’ouvrage de Samir Abdelkrim, m’a permis de découvrir qu’on pouvait associer la solidarité, le progrès social et l’humanisme à un appareil digital »
P. Ricard
Focus : le Sommet des deux rives
Fruit d’une initiative du président de la République français Emmanuel Macron, le Sommet des deux rives a pour ambition de relancer la dynamique de coopération en Méditerranée occidentale, par la mise en œuvre de projets concrets en faveur du développement humain, économique et durable dans la région. Le Sommet des deux rives s’inscrit dans le cadre du Dialogue 5+5 Méditerranée, qui réunit cinq États de la rive sud de la Méditerranée et cinq États de la rive nord : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Portugal, Espagne, France, Italie et Malte.
Réfléchir à la transmission des savoirs avec l’oralité augmentée
N’Goné FALL, Commissaire Générale de la Saison Africa 2020, poursuit sur la question des connaissances en expliquant que l’un des thèmes de la Saison est l’oralité augmentée, pour réfléchir à la façon dont les savoirs et les connaissances se transmettent de façon augmentée. Ce programme est mis en place en partenariat avec le Ministère de l’Éducation nationale, pour pouvoir toucher tous les territoires y compris le monde rural et jusqu’en Polynésie, en ayant des échanges entre classes et professeurs de part et d’autre de la Méditerranée. Chaque Académie va faire des appels à projet et travailler avec des écoles sur le e-learning, ainsi que de nombreuses rencontres. Ce programme s’appuie sur le numérique et sur certaines industries telles que les studios de films et de jeux vidéo, avec l’African Animation Network et le Festival du Film d’animation d’Annecy.
« La Saison Africa 2020 est basée sur la transmission des savoirs, des savoirs que nous africains détenons et que nous offrons à la France : donc c’est une inversion des mentalités »
N.SALL
Le digital comme vaisseau des connaissances
Patricia RICARD, Présidente de l’Institut océanographique Paul Ricard, revient ensuite sur le Sommet des deux rives, qui a permis à ses yeux de faire tomber beaucoup d’idées reçues, et tout d’abord le fait que le rapport Nord-Sud peut s’inverser en Méditerranée, avec les pays du Sud de l’Europe d’un côté, et ceux du Nord de l’Afrique de l’autre, qui n’ont cessé de chercher des convergences. Beaucoup de projets en ont émergé et elle y a fait la rencontre de Samir Abdelkrum, auteur de Startup Lions, dont elle a lu le livre et qui lui a permis de découvrir qu’on pouvait associer solidarité, progrès social et humanisme à un appareil digital. Revenant sur la Méditerranée, elle précise que les scientifiques disent souvent qu’elle est un laboratoire et partage une réflexion d’Emmanuel Delannoy, qui explique que nos valeurs se sont inversées depuis le XVIIIèmesiècle, avec aujourd’hui des connaissances abondantes et des matières premières rares. Cela, porté par le digital, pourrait selon elle être le vaisseau d’une nouvelle civilisation emmenée par de nouvelles valeurs et par les connaissances, qui enrichissent chacun de nous.
Synthèse
Les politiques publiques se doivent aujourd’hui de rendre possible et d’accompagner le développement du digital, en réalisant les investissements nécessaires dans les infrastructures de et en proposant des régulations adaptées aux entrepreneurs, vers un Startup Act et pour une Startup Nation. Si le digital ne permet pas d’économiser un travail en profondeur sur le développement des compétences, du système éducatif et des questions sécuritaires, il peut être le vaisseau des connaissances, pour un brassage culturel profitable aux deux continents et qui permette de sortir des clichés. Pour travailler à l’ensemble de ces enjeux, c’est la création de structures collectives qui permettra d’encourager ce dialogue augmenté.