Mardi 14 décembre 2021 – 15h10 à 16h00 – Jour 2 – Plénière 6
Panélistes :
Hugues PARANT – Euroméditerranée, Directeur général
Aurélien LECHEVALLIER – Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères,
Ambassadeur de France en Afrique du Sud
Jérémie PELLET – Expertise France, Directeur général
Aissatou DJIBA DIALLO – Ecobank, Directrice relations Fintech
Marie-Thérèse LAGUERRE-NDIAYE – Veolia, Directrice opérationnelle innovation
Malick DIAWARA – Le Point Afrique, Rédacteur en chef
Issac GNAMBA-YAO – La Poste, CEO
Mise en contexte
Partenaire historique d’EMERGING Valley depuis 2017, l’Établissement Public d’Aménagement Euroméditerranée s’est de nouveau associé cette année avec EMERGING Valley pour co-construire une plénière dédiée à la ville africaine de demain. Caractérisée par l’importance du secteur de l’informel, la ville africaine démontre son agilité et invite à repenser les définitions de la smart city. Comment le continent repense et réinvente ses dynamiques urbaines ? Comment innovation et agilité du digital peuvent-elles s’immiscer dans la ville ? Des panélistes de haut-niveau, rassemblés autour de M. Hugues Parant, Directeur Général d’Euroméditerranée, débattent ensemble des réponses apportées par la tech et les startups locales à l’informalité au sein des villes africaines : de quoi inspirer leurs consœurs européennes ! De Marseille à Lagos, en passant par Le Caire, tour d’horizon de ces nouvelles formes de culture et de création. De Johannesburg à Tunis en passant par Dakar, tour d’horizon des healthtech africaines qui réinventent les systèmes de santé : l’occasion pour la Métropole Aix-Marseille de réfléchir aux meilleures façons d’accueillir et d’accompagner ces projets e-santé méditerranéen et africains sur son sol.
L’Afrique a des besoins majeurs en termes de restructuration urbaine et de travail sur la ville. La valeur qui peut être produite grâce aux nouvelles technologies s’avère considérable. Le fait de se concentrer sur la ville informelle pour ce débat peut sembler étonnant puisqu’en Europe, depuis la révolution industrielle et les travaux d’Haussmann, le concept est rejeté pour des raisons politiques, économiques et de santé publique.
Cependant l’Afrique doit faire face ces dernières décennies à une croissance démographique sans précédent, ce qui induit de la jeunesse, de la créativité. Cette croissance démographique s’accompagne d’un fort exode rural et avec les impacts du réchauffement climatique, toutes les villes africaines vont doubler leur population d’ici trente ans.
L’Afrique va avoir besoin de s’organiser. En parallèle, les villes européennes redécouvrent les vertus de l’urbanisme informel, comme en témoigne le projet MOVE – Massalia Open Village Experience | Euromediterranée, qui réimplante dans les quartiers réaménagés des espaces d’économie et de structures informels. La majorité des villes occidentales redécouvrent l’urbanisme transitoire qui peut devenir permanent. Les startups insufflent à la ville un grain de folie, et des rapports humains différents.
Il est possible d’adapter le modèle méditerranéen en France, pays normalisé et centralisé. L’Afrique est un territoire varié, et les besoins ne sont pas les mêmes d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre. La capacité à comprendre ce qui se passe, à tenir un projet sur le long terme, à être un gage de confiance a été prouvée à Marseille.
Transformer la ville africaine informelle en valeurs positives
« La technologie a le grand avantage de permettre d’atteindre les personnes là où elles se trouvent, et non là où l’on voudrait qu’elles soient. Toutes ces ressources doivent aujourd’hui permettre de transformer la ville africaine informelle en valeurs positives,
et la rendre productrice d’échanges et de créativité. »
H. Parant
Les producteurs jouent un rôle essentiel
Les producteurs sont essentiels : ce sont eux qui produisent les contenus, qui les imaginent et les créent, avec des réalisateurs et des auteurs et qui vendent leurs projets. Ayant commencé à travailler dans la production il y a 26 ans, Sabrina Roubache a ainsi vu naître le pôle médias de la Belle de Mai.
L’écosystème a la volonté d’avoir des standards et des outils internationaux, et des projets se sont déjà concrétisés, mais cet écosystème reste à construire. L’employabilité des jeunes constitue un défi mais avec les câbles sous-marins, Marseille a tout ce qui est nécessaire pour devenir un hub culturel.
« Marseille est une terre qui se vend magnifiquement bien à l’étranger,
comme le prouve la série Marseille, produite par Netflix mais aussi la série
Plus Belle la Vie, qui a permis de professionnaliser les techniciens. »
S. Roubache
L’informel ne signifie pas forcément l’irrationalité. Il appelle une autre rationalité que celle perçue en France et en Occident. L’accès à l’eau, à l’électricité et au traitement des déchets sont essentiels : ils contribuent à structurer une ville, un développement économique vers un mieux-être des populations.
Aujourd’hui, des cités, des quartiers, se développent de façon très spontanée, sans que l’on ne sache pourquoi. Les startups proposent des solutions concrètes, comme par exemple le recyclage des plastiques. Un jeune ghanéen a ainsi créé une entreprise qui récupère les plastiques, et les collecteurs sont directement issus des quartiers et constituent leurs propres réseaux. La digitalisation permet d’apporter de la transparence à l’ensemble, et la démarche repose sur un réseau de pyramides de confiance.
L’accès à l’eau, à l’électricité et au traitement des déchets sont essentiels
« De nouvelles approches sont envisagées pour l’Afrique. Il convient de réfléchir à des unités plus
décentralisées, plus mobiles. »
T. Laguerre-Ndiaye
Le numérique modifie la façon de gérer les quartiers informels.
L’informel constitue un sujet majeur de l’organisation. 40 % de la population urbaine africaine vit dans des quartiers urbains informels, avec tous les sujets que cela implique et notamment l’absence de planification, l’absence de raccordement aux réseaux, les inégalités et l’exclusion sociale. Les agences de coopération et de développement travaillent sur tout cet environnement. Expertise France, en tant qu’agence de coopération technique internationale, mobilise sur le terrain de l’expertise partout dans le monde pour appuyer et renforcer les politiques locales sur ces sujets.
Le numérique modifie la façon de gérer les quartiers informels et permet ainsi de renforcer les politiques publiques locales pour mieux les insérer dans le dispositif urbain.
Expertise France et l’AFD ont identifié des micro-projets locaux intéressants, par le biais des pépinières locales de Tunis ou d’Abidjan. Le numérique favorise aussi la création d’entreprises dans ces quartiers, qui créent de la valeur à partir de ce qui peut être valorisé comme le traitement et le recyclage des déchets, l’accès à l’eau…
« Mobiliser le numérique permet aux habitants des quartiers informels de s’approprier
leur quartier et de développer leur propre demande de besoins et de services. »
J. Pellet
Les portefeuilles mobiles, une solution qui répond aux besoins de la population africaine
Ecobank est un groupe présent sur plus de 33 pays africains, qui a l’ambition de devenir la banque panafricaine par excellence. En Afrique, le taux de bancarisation est toujours l’un des plus faibles du monde, et la majorité des transactions financières s’effectuent de manière informelle. À partir de 2007, des solutions digitales et notamment les mobiles wallets, ont émergé. Pour une fois, l’Afrique a été leader.
Selon un récent rapport de l’UNESCO, les industries créatives font travailler officiellement 5 millions de personnes et ont un poids de 50 milliards d’euros. Autant d’éléments chiffrés qui intéressent de plus en plus les VC à investir dans les industries culturelles et créatives. Cette réelle traction du secteur, ainsi que les performances de LAFAAAC (formation de 10 000 jeunes) ont ainsi fini de convaincre Greentech et Inco d’investir 1 million d’euros dans la startup en cette fin d’année 2021! Une réussite pour la pépite issue du programme Social & Inclusive Business Camp lors duquel elle avait rencontré ses futurs investisseurs. Olivier Pascal a ainsi salué le rôle de EMERGING valley, de I & P et de l’AFD dans ce succès.
Les populations africaines sont très friandes de ces solutions, puisque le modèle proposé par les banques ne correspondait pas aux besoins et que les Fintechs ont fait la preuve de leur efficacité. Ainsi en 2021, près de 5 milliards de dollars ont été levés par des startups africaines, dont 25 % par des Fintechs.
Ecobank développe, depuis plus de 5 ans, une stratégie maximum de digitalisation. Un exemple iconique en est le service “Xpress” dédié aux transferts d’argent : des partenariats avec des acteurs de télécommunications permettent ainsi de suivre les données et de déterminer si les clients peuvent bénéficier de prêts, et notamment les tout petits commerçants de l’informel.
Une stratégie de mains serrées plutôt que de mains tendues
Les partenariats entre Europe et Afrique ont toujours été au cœur de l’ADN de LAFAAAC, avec pour objectif de mettre en œuvre une stratégie de mains serrées plutôt que de mains tendues. A titre d’exemple, et annoncé en exclusivité sur la scène de EMERGING Valley, LAFAAAC lance en février 2022, la Wazobia Academy, un programme de formation appliquée aux particulier de la marque Wazobia. Même si la startup participe au développement, elle est aussi là pour faire des ponts entre les deux continents. La plupart de ses formations ont ainsi été co-créées avec un partenaire au Nord et adaptées avec un partenaire au Sud. Un dossier est notamment déposé avec La Ruche, pour dupliquer certains projets dans des zones très éloignées de l’emploi.
« La moitié des mobiles wallets mondiaux sont situés en Afrique subsaharienne et chaque mois, plus de 13 milliards de dollars de transactions sont réalisés via ceux-ci. La technologie permet donc de passer d’un environnement informel à un environnement formel. »
A. Djiba Diallo
L’environnement informel constitue une opportunité pour La Poste
La Poste est souvent synonyme d’adressage dans l’image véhiculée, or, en Afrique, elle s’appuie beaucoup sur l’informel. L’informel permet de réinventer la transformation de ce mastodonte des services publics pour lequel il convient de revenir aux fondamentaux, à savoir assurer le lien social entre les populations et avec l’État. Il faut s’inspirer des startups telles qu’Uber ou AirBnb : miser sur la géolocalisation et les technologies de paiement via le smartphone.
« L’environnement informel constitue une vraie opportunité pour le groupe, et La Poste doit se définir comme une grande startup nationale, qui va créer un écosystème multi-tech facilitant la vie des populations. »
I. Gnamba-Yao
La ville nourrit l’innovation et se transforme, grâce aux entrepreneurs
Les défis de paupérisation, de chômage des jeunes et d’extension des pôles urbains, couplés aux inégalités sociales et territoriales sont toujours présents en Afrique du Sud. Ils se sont même aggravés avec la crise sanitaire Covid-19. Cela étant, on observe une dynamique de changement. La ville nourrit l’innovation, et peut se transformer grâce aux entrepreneurs sociaux, aux incubateurs et aux accélérateurs de talent, qui font le pari à la fois de l’entrepreneuriat et de l’inclusion sociale.
Il convient de déterminer également comment pourront être accompagnées ces dynamiques porteuses dans les mois et les années qui viennent. En ce sens, Marseille et le pourtour méditerranéen sont des zones emblématiques. Les villes peuvent être un lieu de bien-être, de création et d’innovation. Ce sont des sujets et des axes de réflexion dont les différents acteurs présents à EMERGING Valley devront s’emparer dans leurs travaux. L’Afrique du Sud regarde ainsi avec grand intérêt les nouvelles dynamiques méditerranéennes, et les villes des deux continents font face aux mêmes défis. C’est bien grâce à l’entrepreneuriat qu’elles pourront devenir véritablement durables et inclusives.
« La transformation des villes est, d’évidence, un sujet central. L’enjeu est de mieux comprendre comment la ville pourra être un carrefour d’innovations, en Afrique comme en Europe. »
A. Lechevallier
Synthèse
L’Afrique affiche des besoins considérables en termes de restructuration urbaine, et doit faire face à une croissance démographique sans précédent associée à un fort exode rural. Toutes les ressources, à commencer par le digital, doivent permettre de transformer la ville africaine informelle en valeurs positives et la rendre productrice de valeurs, d’échanges et de créativité. L’accès à l’eau, à l’électricité, le traitement des déchets sont essentiels et de nombreux entrepreneurs du digital proposent aujourd’hui des solutions concrètes qui répondent aux besoins des populations, et dont s’inspirent les grands groupes pour s’adapter à ces environnements non formels.