Du désenclavement des zones reculées à la féminisation des Techs en passant par l’inclusion des populations les plus fragiles, comment rendre le numérique plus inclusif et durable ?
Mercredi 4 décembre – Jour 1 – Plénière 6 – Auditorium, thecamp – 17h10 – 18h30
Co-Modération par Isadora BIGOURDAN – Lead Project SIBC 2019 & France Digitale
& Steve TCHOUMBA, Manager ActivSpace, Cameroun
Panélistes :
- Yahouza SADISSOU– Ministre de la Recherche et de l’Innovation – Niger
- Lucie VENET – Directrice exécutive de la Fondation Olympique de Marseille
- Claire BRODIN– Responsable du Pôle Financement du développement, Innovation et Partenariats, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
- Jérôme FROISSART – Coordonateur de TECH4CHILD, AMADE – Principauté de Monaco
- Lamiae BENMAKHLOUF – Présidente du Technopark de Casablanca – Maroc
- A’Laa CHBARO – ImpACT the World et WonderAid – Liban
- Zeinebou ABDELJELIL – Co-Fondatrice HADINA RIMTIC – Mauritanie
Mise en contexte
Portée par la déferlante internet et par l’accès libre de tous à la connaissance et au monde extérieur, les innovations digitales sont venues changer chaque parcelle de nos vies pour créer de nouveaux modèles. Évasion fiscale des GAFA, précarité des chauffeurs Uber et généralisation de la GIG Economy : le modèle social qui semble accompagner cette révolution est lui plutôt synonyme de régression. Pourtant, un premier recul sur l’apport de la génération startup sur le continent africain et en méditerranée met en lumière d’autres possibles, et démontre que ces nouveaux modèles peuvent aussi être incarnés par des entrepreneurs sociaux engagés vers une économie inclusive et durable. Edutech, HealthTech, GreenTech : la raison d’être de nombreuses jeunes pousses est proprement sociale, quand elle généralise l’accès à l’éducation, à la santé ou trouve de nouveaux moyens de combattre le changement climatique. Mais plus encore que les problèmes qu’ils s’attachent à résoudre, les entrepreneurs sociaux, appuyés sur l’immédiateté et la connectivité permise par internet, sont les réels acteurs du désenclavement des régions aujourd’hui en marge de l’économie. Ce désenclavement s’opère par l’accès au marché, avec la multiplication de plateformes digitales mettant en relation l’offre et la demande, par l’inclusion de groupes vulnérables à l’économie en mettant l’accent sur les jeunes et les femmes, ou encore en connectant les zones hier marginalisées aux centres d’emplois et de financement : c’est le modèle d’Andela, qui voit les développeurs africains enrichir les compétences numériques des PME américaines et emploie près de 1 500 ingénieurs du continent, mais aussi celui de plateformes de crowdfunding comme VC4A ou de Business Angels du continent comme le réseau ABAN. Plus encore que les entrepreneurs, c’est tout un chacun qui bénéficie en Afrique et en Méditerranée de cette inclusion numérique, avec des conseils en santé ou en agriculture à portée de téléphone, ou des réseaux de discussion et d’entraide entre pairs. À l’image du mouvement Open Data, très utilisé au bénéfice de la santé publique en Afrique et qui permet plus largement de réutiliser des logiciels performants pour mener des projets sociaux, de nouveaux modèles sont rendus possibles par le numérique, qui peuvent incarner des cycles vertueux de partage d’expérience et de démultiplication des bonnes pratiques, vers une économie de la bienveillance propulsée par le digital.
Prises de parole
Une politique publique du digital avec l’Agritech en fer de lance
Ouvrant la plénière, le Ministre de la Recherche et de l’Innovation du Niger, Yahouza SADISSOU, a détaillé les priorités du gouvernement nigérien : inscrite dans le programme Renaissance, la politique digitale est une priorité mise en avant dès la campagne électorale avec trois axes de travail qui bénéficient chacun d’un ministère dédié, sur l’entrepreneuriat des jeunes, l’économie numérique et la recherche et l’innovation. En parallèle de la plénière se tiennent notamment à Niamey les Journées de la Recherche, de l’innovation et de la créativité dont le thème est l’Agritech : pour réfléchir aux technologies de transformation, de conservation et de stockage des produits. L’Agritech est en effet l’une des priorités du programme Renaissance, au travers du projet 3N : les nigériens nourrissent les nigériens, pour sortir des cycles de famine et accentuer la révolution verte à l’aide de la télé-irrigation, des engrais et autres progrès apportés par le digital.
« À travers l’initiative 3N – Les nigériens nourrissent les nigériens – nous connaissons aujourd’hui une Révolution verte au Niger, où nous n’avons pas connu de famine depuis 2011 »
Y. Sadissou
La Fondation de l’OM s’engage en soutien à l’entrepreneuriat local
À son tour, Lucie VENET a détaillé les actions de la Fondation Olympique de Marseille, dont elle est la Présidente et qui repose sur 4 piliers : éducation, pratique sportive des jeunes, entrepreneuriat et accès à l’emploi ainsi que culture et art contemporain. Au sein du 3ème pilier, deux initiatives soutiennent l’entrepreneuriat en France : l’OM Innovation Cup et un partenariat avec l’ADIE, une association nationale reconnue d’utilité publique qui aide les entrepreneurs avec un fonds abondé de 30 000 € pour encourager la création de micro-entrepreneurs à Marseille. L’OM a également crée pour l’ADI des formations spécifiques de communication digitale et de stratégie de marque, dispensées par des managers du club, et soutenu la création de leur centre d’accompagnement et de préparation des micro-entrepreneurs de Marseille dans un quartier prioritaire.
« L’OM Innovation Cup est le 1er Challenge de startups lancé par le club, qui a reçu plus de 260 candidatures en 6 semaines et est un moyen pour nous de soutenir l’entrepreneuriat sur le territoire national »
L. VENET
Développer des fonds de contrepartie Public-Privé
Côté Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, Claire BRODIN, Responsable du Pôle Financement du Développement, innovation et partenariats, a précisé l’action française en la matière, qui soutient les modèles d’innovation sociale et inclusive à l’international, tels que le programme SIBC. L’action du MEAE passe également par l’innovation financière, avec le lancement d’un fonds de contrepartie public-privé en partenariat avec l’Unicef, destiné à soutenir l’entrepreneuriat des femmes en Afrique et plus particulièrement en Mauritanie.
« Notre stratégie baptisée « Innover ensemble » vise à soutenir et valoriser les modèles d’innovation sociale et inclusive à l’international, avec un groupe de travail qui réunit incubateurs, entreprises, chercheurs et société civile »
C. Brodin
Soutenir l’éducation et protéger l’enfance en s’appuyant sur la technologie
Autre acteur social, l’AMADE, association monégasque dédiée à l’enfance et dont Jérôme FROISSART est le Secrétaire Général, protège l’accès à l’éducation sur le Continent au travers de quatre programmes : « l’Énergie de l’espoir » équipe les enfants de lampes solaires avec accès à des contenus pédagogiques de qualité ; une application mobile qui permet de prévenir la mortalité infantile au Congo ; une plateforme qui encourage la réplique de solution efficaces dans les pays anglophones vers les pays francophones, et enfin l’initiative Tech4Child, qui rassemble les différents acteurs sur le sujet.
« Utiliser l’Énergie comme levier de développement est un grand enjeu : nous nous appuyons sur l’émergence des nombreux programmes d’accès à l’énergie OffGrid sur le Continent, comme une opportunité pour l’accès à l’éducation »
J. FROISSART
Pour le Technoparc, l’inclusion économique et sociale passe par la régionalisation
Le Technopark de Casablanca, présidé par Lamiaa BENMAKHLOUF, est le fruit d’un Partenariat Public-Privé et a développé une stratégie de régionalisation, qui lui a permis de capitaliser sur son expérience à Casablanca pour ouvrir des centres à Tanger, Rabat et Agadir, afin d’accompagner toujours plus d’entreprises. Nous travaillons en étroite collaboration avec les régions, car travailler ensemble pour l’inclusion économique et sociale est une évidence : public, privé, société civile.. Il faut mettre les jeunes et l’humain au centre de la croissance et de l’innovation. Plus de 1 200 startups ont ainsi été accompagnées depuis 2001, avec un turnover annuel de 25%. Selon Lamiaa, quand ses jeunes pousses partent, c’est parce qu’elles ont réussi et doivent voir plus grand ! L’objectif est à présent de dupliquer l’initiative en Côte d’Ivoire pour la Présidente, qui a également développé une collaboration avec Marseille, et plusieurs initiatives au profit des femmes.
« Notre ambition sur les régions est de traiter des thématiques spécifiques propres à chaque territoire, au Maroc et pourquoi pas ailleurs en Afrique. Nous avons des talents partout et la richesse doit être distribuées au niveau des collectivités territoriales »
L. Benmakhlouf
Utiliser la technologie pour toucher les zones reculées et en conflit
Créé il y a deux ans pour soutenir les entreprises dans les villes et régions en conflit et post-conflit, ImpACT the World dirigé par A’laa CHBARO utilise la technologie pour conquérir de nouveaux espaces, tels que la Bande de Gaza où ils ont réalisé plusieurs cycles de formation à distance. Via des partenariats avec des grands groupes et des bailleurs, ils réalisent des transferts de technologie au profit de zones reculées comme le Pakistan ou l’Afghanistan, avec un total de 20 villes réparties sur quatre continents. ImpACT a une approche bottom-up : c’est une communauté d’entrepreneurs, par des entrepreneurs et pour les entrepreneurs.
« La technologie est une ressource-clé pour atteindre des régions isolées et en conflit telles que la Bande de Gaza, où nous transférons aujourd’hui des connaissances via Skype ou par visio-conférence à des amphithéâtres entiers »
A. CHBARO
Soutenir l’écosystème via des formations et des actions de plaidoyer
Co-fondatrice de l’incubateur mauritanien Hadina Rimtic, Zeinebou ABDELJELIL cherche à sensibiliser des entreprises sur des innovations sociales. Créé en 2014, l’incubateur offre des formations et travaille en partenariat avec grands groupes et bailleurs, avec également un rôle de catalyseur de l’écosystème, notamment suite à son plaidoyer auprès du gouvernement pour le soutien au mobile banking. Ses actions sont très diverses, avec de nombreuses compétitions organisées qui lui permettent de détecter des talents, la création de programme de soutien à l’entrepreneuriat féminin, à celui des jeunes ou à l’environnement, pour permettre de créer des success stories. Depuis nos débuts, nous avons été impressionnés par le nombre de projets à caractère social, comme cette application créée par une jeune entrepreneure pour prévenir les agressions dans les transports ou cette autre qui a développé une application mobile de suivi pour les diabétiques.
« Nous jouons un peu le rôle de catalyseur de l’écosystème, et nous avons beaucoup œuvré dans le plaidoyer auprès du gouvernement pour faire évoluer la législation sur le Mobile Banking »
Z. Abdeljelil
Au Niger également, le rôle des incubateurs est pleinement pris en compte, et le Ministre Yahouza SADISSOU détaille ainsi les synergies entre la politique nationale nigérienne d’innovation, le CIPMEN et la maison de l’innovation, tandis qu’un incubateur public a été installé au sein de l’Université de Niamey. De même, plusieurs initiatives ont été menées pour soutenir la recherche et les étudiants : c’est le cas du FARSIT, le Fonds d’appui aux créateurs étudiants pour les accompagner dans la phase de prototypage, ainsi que celui du CNRS, l’organisme créé pour coordonner les actions en matière de recherche, tout comme l’ANSI, l’Agence nationale qui pilote les services d’information.
Des projets sociaux ambitieux portés pour l’avenir, qui réclament l’évolution du cadre juridique, pour permettre de libérer les énergies
Pour conclure, de nombreux projets sociaux ambitieux et prometteurs ont été évoqués pour l’avenir, avec l’expansion des activités de l’OM en Afrique, l’ambition de l’Amade de développer ses activités sur le dernier kilomètre via des partenaires locaux, ou encore un projet d’écoles de code au Sahel du MEAE en partenariat avec l’école Simplon, l’IRD et Make Sense. Plusieurs barrières sont néanmoins à lever pour permettre le plein développement des innovations sociales selon A. CHBARO, qui résident principalement dans l’évolution du cadre règlementaire qui restreint aujourd’hui les énergies. Cette conviction est partagée par Z. ABDELJELIL, qui propose notamment de développer les incitations fiscales et les subventions ainsi que par L. BENMAKHLOUF, pour qui la réglementation n’avance pas au rythme de la société civile, qui s’est déjà emparée de sujets comme le Crowdfunding ou les vols de drones..
synthèse
Les politiques publiques ont un rôle à jouer pour placer le digital comme levier de développement, évangéliser et valoriser les initiatives sociales, tout comme les corporate, qui peuvent mettre à profit leur réseau et leurs compétences pour soutenir l’inclusion et l’entrepreneuriat social. Ces initiatives, de plus en plus, cherchent à dépasser les centres en s’appuyant sur la technologie pour s’étendre aux collectivités territoriales et toucher jusqu’aux zones reculées, vers plus d’inclusion sociale. Il convient néanmoins de poursuivre le plaidoyer auprès des décideurs pour faire évoluer le cadre juridique vers une législation plus favorable aux entrepreneurs et qui s’adapte à leur rythme.