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#SIBC-Series : EN TUNISIE, SCIENCIA TRANSMET LE SAVOIR EN S’AMUSANT

Comme de nombreux tunisiens, Latifa El Ghezal porte un œil critique sur le système éducatif de son pays. Docteur en génie civil et enseignante universitaire à l’Ecole nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis, elle juge les méthodes pédagogiques trop académiques et trop abstraites pour intéresser la majorité des jeunes élèves, en particulier dans le domaine des sciences. Afin de compenser les lacunes du système éducatif et de donner le goût de la science aux enfants, elle se lance en 2014 dans le projet Sciencia, un centre de loisirs scientifiques pour les enfants de 6 à 16 ans.

EMERGING Valley l’a rencontrée, l’entreprise qu’elle a cofondé participant au Social & Inclusive Business Camp, un programme d’accélération créé par l’Agence Française de Développement, dont EMERGING Valley est partenaire.

« Nous souhaitions mettre en place un complément à notre système éducatif capable de faire le lien entre ce qui est appris dans les cahiers et la vie pratique. »

EMERGING Valley : Pouvez-vous nous en dire plus sur les raisons qui vous ont amenée à créer SCIENCIA, et quel est son but ?

 

Latifa El Ghezal : En temps qu’enseignante et chercheuse universitaire, j’ai toujours été très critique de notre système éducatif, un système d’apprentissage en forme d’entonnoir où l’élève est passif et doit seulement mémoriser des informations pour les réutiliser lors des examens et qu’il est ensuite incapable d’utiliser dans la vie pratique.
Après la révolution de 2011, les deux autres cofondateurs et moi-même souhaitions mettre en place un complément à notre système éducatif capable de faire le lien entre ce qui est appris dans les cahiers et la vie pratique. Nous avions tous déjà réalisé différents ateliers de vulgarisation scientifique et nous avons mis en commun nos expériences pour créer en 2014 Sciencia, un espace où les enfants peuvent pratiquer les sciences et trouver des réponses à leurs questions, que les parents n’ont pas toujours le temps ou la capacité de leur apporter. Et cela afin de récupérer, après une vingtaine d’années, des adultes capables de sortir de leur zone de confort, de créer et d’innover car ils aiment les sciences et ont eu l’occasion de pratiquer cette passion durant leur enfance avec Sciencia.

EMERGING Valley : Aujourd’hui que fait Sciencia pour favoriser la diffusion du savoir scientifique auprès des enfants ?

 

Latifa El Ghezal : Nous nous positionnons comme un fournisseur de loisirs scientifiques pour les jeunes et les enfants, que ce soit dans les locaux de Sciencia à Tunis où chez nos partenaires dans la région du Grand Tunis, notamment les écoles privées. Nous proposons différents ateliers ludiques tournant autour de la robotique, de l’aéronautique, de l’astronomie, de la physique, de la chimie et des énergies renouvelables, entre autres. Nos activités se font toujours en petit groupe de 8 à 10 enfants. En 6 ans, nous avons pu atteindre plus de 1500 enfants et réussi à pérenniser l’assiduité de nombre d’entre eux, avec certains enfants qui participent à nos ateliers depuis parfois 4 ans.

L’entreprise fonctionne grâce au travail des 3 fondateurs et de 4 collaborateurs, nous avons également formé 2 ambassadeurs, un à Nefta dans le sud du pays et l’autre à Tunis, qui doivent démarcher de potentiels partenaires et travaillent sous la tutelle de Sciencia, mais avec une grande autonomie d’action.

 

« Nous proposons différents ateliers ludiques tournant autour de la robotique, de l’aéronautique, de l’astronomie, de la physique, de la chimie et des énergies renouvelables, entre autres. Nos activités se font toujours en petit groupe de 8 à 10 enfants. En 6 ans, nous avons pu atteindre plus de 1500 enfants et réussi à pérenniser l’assiduité de nombre d’entre eux, avec certains enfants qui participent à nos ateliers depuis parfois 4 ans. »

Kit Track Follower Robot, robot tracer autonome à assembler. Photo : Sciencia

 

EMERGING Valley : Quelles difficultés spécifiques rencontrez-vous en travaillant avec des enfants ?

 

Latifa El Ghezal : Nous rencontrons principalement des difficultés auprès des parents, pas des enfants ! Nous souffrons d’un système éducatif très malsain où chaque enfant doit être capable de répéter tout ce qu’il a vu et appris immédiatement. Or, les effets de Sciencia prennent beaucoup de temps à apparaître et peu de parents acceptent de patienter avant de voir les fruits de leur investissement financier. Il est donc dur de convaincre ces parents de l’utilité de nos ateliers. Il faut leur faire comprendre l’importance d’investir dans l’éducation et l’épanouissement intellectuel de leurs enfants.
Le seul challenge que nous rencontrons avec les enfants est de les convaincre qu’ils ne sont pas en train d’étudier lors du premier atelier. Une fois la première séance passée, il n’y a généralement plus de difficulté avec eux. Ce premier contact est parfois plus difficile avec des enfants qui souffrent de difficultés d’apprentissage, notamment de troubles de l’attention tel que l’hyperactivité, et qui viennent à nos ateliers avec beaucoup de méfiance.

« Il faut faire comprendre aux parents l’importance d’investir dans l’éducation et l’épanouissement intellectuel de leurs enfants »

 

EMERGING Valley : Même si votre ambition est de partager le savoir, l’éducation nécessite des moyens financiers importants : quel est votre business model ? Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre entreprise ?

Latifa El Ghezal : Bien sûr ! Il faut d’abord noter que nous sommes une entreprise privée et non une association, car nous avions remarqué que les associations et ONG avec un agenda éducatif avaient généralement des difficultés à toucher un large public. Notre entreprise sociale se finance en B to C auprès des parents qui souhaitent inscrire leurs enfants aux ateliers Sciencia, principalement en provenance du Grand Tunis. Nous réalisons une autre partie de nos ventes en B to B en travaillant principalement auprès d’écoles privées mais aussi auprès d’espaces de coworking, d’associations proposant des activités aux enfants ou d’agences de teambuilding qui utilisent nos kits pour leurs activités. Cela nous a permis de dégager en 2019 un chiffre d’affaire de 90 000 dinars soit 30 000 euros.
Nous avons lancé Sciencia sur nos fonds propres et notre travail nous a ensuite permis de recevoir différentes subventions de l’Union européenne, d’obtenir le label Startup délivré par le gouvernement tunisien, et de rejoindre des programmes d’accompagnement de haut niveau tel que le SIBC. Malgré une année 2020 évidemment plus difficile, nous restons très optimistes et nous pensons être désormais prêts à attaquer notre expansion !

 

EMERGING Valley : Quels sont vos projets pour l’avenir de SCIENCIA ?

Latifa El Ghezal : Nous avons de nombreux projets sur le long terme. Nous souhaiterions dans un premier temps industrialiser la fabrication de nos kits scientifiques. Ils fourniraient une alternative locale aux jouets de vulgarisation scientifique qui sont tous produits à l’étranger. Nous voudrions qu’ils soient un jour adoptés par le ministère de l’Education nationale et deviennent ainsi des outils pédagogiques officiels.
À terme nous souhaiterions que le centre Sciencia à Tunis devienne un centre de R&D où nous développerions le contenu pédagogique et des kits scientifiques pour les ateliers que mèneraient nos ambassadeurs Sciencia partout en Tunisie et non plus seulement dans le Grand Tunis. Dans la même lancée, nous voudrions un jour créer des Fablabs accessibles à tous les tunisiens et où chacun pourrait trouver l’encadrement adéquat pour participer à des ateliers scientifiques amateurs ou professionnels.

Kit Camiounti, puzzle 3D autopropulsé à assembler. Photo : Sciencia

 

EMERGING Valley : La crise du Covid-19 a mis à rude épreuve les systèmes éducatifs de par le monde : quel a été son impact sur le travail de vulgarisation de Sciencia ?

 

Latifa El Ghezal : Bien sûr, la crise sanitaire a provoqué une baisse du chiffre d’affaires et des difficultés financières. Mais le confinement a aussi été une opportunité : l’absence d’ateliers physiques nous a permis de lancer notre activité en e-Learning et ainsi toucher des enfants qui ne sont pas nécessairement sur le Grand Tunis. Les ateliers virtuels fonctionnent sur le même principe que leurs équivalents physiques avec quelques adaptations : nous livrons à chaque enfant les consommables nécessaires pour ses activités mensuelles et les groupes sont réduits à 5 personnes car il reste plus difficile de faire passer les informations en ligne, surtout auprès d’un jeune public.
Nous avons également eu plus de temps pour nous concentrer sur la vente des kits et le développement de nouveaux produits. Cela a aussi été une période de pause, qui nous a permis d’élaborer de nouvelles idées et de redéfinir nos objectifs. Finalement, nous avons pu transformer le challenge du Covid-19 en opportunité !

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