Mardi 14 dÉcembre – Jour 2 – Plénière 1 – 10h00 à 10h50 –
Modération par Samir ABDELKRIM, Fondateur d’EMERGING Valley
Panélistes :
Bamba LO – Paps, Fondateur
Gregory CLEMENTE – Proparco, Directeur général
Mareme DIENG – 500 Global, Lead, Global Innovation & Strategy
Habiba ADDI – MEET Africa 2, Program Manager
Isabelle BEBEAR – Bpifrance, Directrice des Affaires Internationales et Européennes
Satoshi SHINADA – Kepple Africa Ventures, General Partner
Samir ABDELKRIM – EMERGING Valley, Fondateur
Mise en contexte
Cette année encore, les chiffres du financement de la tech africaine battent des records et ce n’est pas une, mais bien quatre nouvelles licornes issues du continent qui ont fait leur entrée dans ce club très prisé ! Si ce terme de “licorne” reste le synonyme d’accomplissements et de réussite pour toute startup ambitieuse, il soulève pourtant aujourd’hui d’âpres débats. En effet, beaucoup questionnent la réalité locale de ces pépites starisées, et l’intérêt même d’ériger en modèle ce concept importé de la Silicon Valley. Licornes : mythes ou modèles ? A l’ère post-covid, quelle stratégie d’investissement privilégier ? Quels vides structurels restent-t-il à combler pour permettre aux jeunes pousses de scaler et emmener avec elles tout un écosystème ? C’est sur la scène de l’amphithéâtre du Palais du Pharo que les experts du VC africain se sont retrouvés mardi 14 décembre pour débattre du sujet.
En 2021, l’investissement VC a quadruplé en Afrique
L’investissement Venture Capital est en forte demande en Afrique,
mais aussi dans les marchés émergents, pour la performance des startups. En 2021, l’investissement VC a quadruplé en Afrique. Il existe donc un appétit fort pour les investisseurs en Afrique, au regard des opportunités, mais aussi des performances des startups africaines. Il est important de donner des opportunités de développement aux économies dans des industries reliées aux challenges et aux problèmes que ces contextes locaux expérimentent.
Fonds d’investissement de la Silicon Valley basé à San Francisco, 500 Global finance aujourd’hui plus de 2 700 startups dans 77 pays, avec un portefeuille qui compte plus de 41 licornes. Son objectif est avant tout d’impacter les économies à travers l’entrepreneuriat. En Afrique, 500 Global investit dans plus de 78 entreprises africaines en Égypte et au Nigéria mais aussi sur de nouveaux territoires comme le Ghana, le Sénégal, le Kenya ou la Tanzanie. Il soutient ainsi des startups, mais aussi, au-delà, des économies entières.
L’entrepreneuriat a toujours été un moyen historique de développement économique, et le Sénégal est en ce sens un bel exemple de valorisation du tissu économique existant.
Bien que le nombre d’investisseurs uniques sur le continent ait été multiplié par cinq, en complément des institutions qui dérisquent certains financements, l’écosystème startup, mais aussi VC, est très jeune. Un signal fort et de bonne augure cependant, qui montre la dynamique en cours, est qu’il y a encore quelques années, les startups atteignant une valorisation élevée constituaient des cas isolés sur le continent tandis qu’aujourd’hui, c’est tout un écosystème qui prend de la maturité et investir dans les entreprises du continent constitue un atout pour les investisseurs.
« Plus que jamais, l’investissement en Afrique n’est plus une question de charité, mais de business. »
M. Dieng
Paps développe des infrastructures logistiques complètes au Sénégal et en Côte d’Ivoire
Paps est une plateforme logistique sénégalaise, qui crée une infrastructure permettant à ses clients de faire du business plus facilement dans leurs pays. Cette infrastructure est composée d’entrepôts, de points relais et d’une flotte qui permet par exemple à des grossistes pharmaceutiques d’approvisionner toutes les pharmacies du pays. Il faut comprendre que jusqu’à présent, certains vaccins étaient transportés sur des charrettes ou dans des bus. Le challenge consiste donc aujourd’hui à formaliser une infrastructure qui n’existait pas jusqu’alors, ou qui était informelle.
Paps a créé une académie, recrute des personnes, les forme, finance des véhicules et en bref, propose une solution complète de logistique. La jeune pousse a bénéficié du soutien d’investisseurs deux ans à peine après avoir lancé son activité. Ces derniers s’intéressent à l’implication de l’équipe, aux potentialités du marché et aux technologies.
Cinq ans après sa création, la startup réalise ainsi 3,5 millions de livraisons au Sénégal et en Côte d’Ivoire pour différents secteurs d’activité, compensant, en quelque sorte, l’absence de Poste.
Le Sénégal travaille depuis une quinzaine d’années sur la création d’un écosystème global, dont l’investissement constitue une brique. En 2023, le Sénégal devrait connaître une croissance de 10 % par an, contre 5,7 % aujourd’hui dans le pays et 3,5 % en Afrique subsaharienne. Peu d’investisseurs français investissent actuellement en Afrique, et les phases de décisions sont longues. Des licornes vont se créer à partir d’opportunités provenant de partout, des États-Unis, du Japon.
Chaque année, les fondateurs d’une startup doivent se transformer
Paps ne se positionne pas du tout sur un fantasme de licorne. Cela ne se prévoit pas. L’objectif de Paps est de se positionner comme un enabler, un facilitateur pour ses clients, afin de leur permettre de vendre dans différents pays. Pour cela, il est essentiel de créer une infrastructure dans les pays, facilitant les échanges. Chaque année, les fondateurs d’une startup doivent se transformer pour être la personne qu’il faut pour l’entreprise. Les investisseurs ne sont pas assez nombreux sur la série A, alors qu’ils sont bien présents sur le seed et le pré-seed.
« Beaucoup de choses ne s’apprennent pas à l’école. Les entrepreneurs doivent pouvoir s’appuyer sur des investisseurs qui ont une connaissance sectorielle
et sur des investisseurs B to B. »
B. Lo
Kepple Africa Ventures : créer des opportunités de croissance et d’achat
Basé à Nairobi, Lagos et Tokyo, le fonds Kepple Africa Ventures a investi dans plus de 90 startups multi-secteurs depuis trois ans et ce en seeds, mais aussi dans les phases suivantes, afin de créer une plateforme d’investissement accompagnant les startups dans leur croissance jusqu’aux séries A et B. La stratégie de Kepple Africa Ventures est d’intégrer des investisseurs physiques dans l’écosystème en Afrique pour créer plus d’opportunités de croissance, ainsi que des opportunités d’achat, pour les entreprises japonaises.
Il faut renforcer les écosystèmes du continent
Pour rendre les écosystèmes africains durables, il est nécessaire de disposer d’un pipeline constant de nouvelles startups, et d’étudier la façon dont ces dernières se développent en phase d’amorçage. Concernant les licornes, il est vrai que de plus en plus d’entrepreneurs sont inspirés par leurs succès, comme au Nigéria ou au Sénégal, mais il ne serait pas pertinent que les investisseurs se concentrent uniquement sur ces modèles. Notre rôle est de renforcer les écosystèmes africains, qui sont devenus plus matures. Ces derniers temps, les capitaux en direction des phases d’amorçage ont augmenté. Il convient de prendre en compte le cycle de vie entier de l’écosystème et d’être réactifs, en se focalisant quand cela est nécessaire sur les phases A et B.
« Kepple Africa Ventures compte plus de 190 entreprises dans son portefeuille Ouest-africain, avec la volonté de favoriser les échanges entre les entreprises et de créer de nouvelles industries, des clusters de modèles économiques. »
S. Shinada
Il faut inciter les Africains à investir chez eux
Bpifrance investit en Afrique depuis 2002. Dès 2003, le groupe a décidé, avec Proparco, de créer un premier véhicule commun : Averroès Finance, qui investissait dans des fonds d’investissement en Afrique du Nord. Cette année, Bpifrance a développé Averroès Africa, dont la zone d’intervention concerne l’ensemble du continent africain et qui constitue déjà son quatrième fonds depuis 2003. Averroès Africa investit donc à travers le continent, dans des fonds de capital développement comme dans des fonds de capital-risque africains. Ainsi la création et la croissance des startups en Afrique vont s’intensifier, pour être créatrices d’emplois et de développement.
En parallèle de ses activités de financement, Bpifrance joue également un rôle d’expertise, conseillant des gouvernements et des institutions qui souhaitent créer des outils similaires à ceux développés par Bpifrance, adaptés aux contextes locaux : c’est le cas de Smart Capital en Tunisie, une institution qui finance l’innovation et dont le groupe français est partenaire mais aussi du Sénégal, avec qui les axes de travail sont nombreux.
Les gouvernements africains doivent notamment s’engager en faveur du financement des startups, qui peut s’avérer risqué.
La crise sanitaire nous a obligés à nous réorganiser, à nous adapter
En 2020, la crise sanitaire engendrée par la Covid-19 nous a tous surpris. Tout le monde a dû s’adapter, se réorganiser, ce qui a entraîné un certain retard dans les projets. L’année 2020 a généré une certaine hébétude, mais cela n’a pas du tout été le cas en 2021. Près de 4 milliards de dollars devraient ainsi être investis dans les startups africaines en 2021 contre 1,4 milliard de dollars en 2020. Le monde s’est réorganisé au niveau des investissements, et certains secteurs tels que l’e-santé, l’e-éducation ou encore la digitalisation des entreprises ont bénéficié de cette crise : il convient d’être très optimistes pour 2022.
« J’appelle de mes vœux que de plus en plus d’africains investissent en Afrique.
Pour l’instant, il n’y a pas assez d’institutions et de personnes
physiques africaines qui y investissent. »
I. Bébéar
Capitaliser sur la double compétence africaine et européenne des diasporas
La diaspora a aujourd’hui une double compétence : la connaissance du contexte africain, de ses codes, une envie et des intérêts émotionnels, voire une vraie rage à agir pour l’Afrique, mais aussi la connaissance du contexte européen. Souvent d’ailleurs, les entrepreneurs créent deux entreprises, l’une en Europe, l’autre en Afrique. Généralement, ils possèdent la connaissance des mécanismes de financement et un capital construit en amont. Et le plus souvent, une entreprise de la diaspora se crée dès son démarrage avec un capital conforme à celui d’une PME, embauchant entre 5 et 20 salariés dans son pays d’origine. L’objectif est aujourd’hui de capitaliser sur cette double culture et sur les transferts de fonds et de création d’entreprise, entre l’Europe et l’Afrique mais aussi au sein de l’Afrique, en développant l’entrepreneuriat transnational. Un formidable potentiel existe. La diaspora a un réel message à apporter à ses institutions, aux agences publiques dans chaque pays d’intervention.
MEET Africa 2 – 8,5 millions d’euros pour les entrepreneurs des diasporas
MEET Africa est un programme mis en œuvre par Expertise France à compter de 2016. La phase pilote a permis d’accompagner 80 porteurs de projets, entrepreneurs de la diaspora basés principalement en France et en Allemagne, afin de les aider à entreprendre dans leur pays d’origine ou dans un autre pays africain. Le programme a mis en lumière le besoin d’amélioration de l’information et de l’orientation des entrepreneurs, la pertinence de simplifier le parcours d’accompagnement et l’importance de proposer un financement d’amorçage, car des dispositifs existent après. C’est ainsi que MEET Africa 2 est né.
MEET Africa 2 est un programme de 8,5 millions d’euros, financé par l’Union européenne et l’AFD. Il a pour objectif de co-incuber 140 entrepreneurs de la diaspora européenne issus de six pays : Tunisie, Maroc, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire et Cameroun. Une réflexion est en cours pour les autres pays africains. MEET Africa 2 entend aussi assurer le financement d’amorçage de 170 entreprises de la diaspora avec un fonds de 2 millions d’euros pour appuyer les fonds propres de ces entrepreneurs. Enfin, un troisième objectif vise à construire un écosystème entrepreneurial euro-africain et à partager les bonnes pratiques : 76 lauréats sont en cours d’accompagnement, d’abord par des incubateurs basés en France, avant de l’être dans leur pays d’implantation. Un chiffre qui a son importance : près de la moitié de ces entrepreneurs, qui ont entre 24 et 60 ans, sont des femmes. Les secteurs d’activité desquels ils sont issus sont diversifiés, mais se rapportent majoritairement au numérique, à l’éducation, l’industrie alimentaire, l’artisanat et au commerce.
« MEET AFRICA a mis en lumière le besoin d’information et d’orientation des entrepreneurs, la pertinence de simplifier le parcours d’accompagnement et l’importance de proposer un financement d’amorçage »
H. Addi
Choose Africa, 2,5 milliards d’euros pour les TPE et les PME
Filiale de l’AFD dédiée au secteur privé, Proparco soutient les PME et les TPE notamment via le programme Choose Africa, doté de 2,5 milliards d’euros pour le financement et l’investissement dans ces deux catégories d’entreprises, mais également, et ce uniquement pour le continent africain, auprès des startups. Durant la pandémie, 1 milliard d’euros a été abondé à l’initiative pour créer le programme Choose Africa Résilience, dédié aux entreprises les plus affectées par la crise sanitaire, avec essentiellement des programmes de garanties. Choose Africa incluait notamment le programme Digital Africa, qui a donné naissance à une association de même nom. L’engagement initial portait sur 65 millions d’euros. Au final, 70 millions d’euros ont été déployés.
Les investisseurs doivent accompagner le développement de l’Afrique.
Le secteur du VC est en pleine explosion sur le continent, avec des investissements qui ont quadruplé en 2021. Afin de consolider un pipeline durable de pépites à investir, les entrepreneurs, pour amorcer le passage à l’échelle de leur société, ont besoin de la connaissance du marché des investisseurs et de leur soutien financier, qui fait encore défaut sur les petites séries et l’amorçage. Une structuration qui passe aussi par l’engagement d’investisseurs et de business angels locaux, mais aussi des gouvernements, pour couvrir les risques rencontrés aujourd’hui sur l’Early stage. La diaspora affiche également la capacité à devenir un acteur majeur de ces écosystèmes, de par sa double expertise de l’Europe et de l’Afrique.
« Conformément aux engagements pris lors du sommet Afrique/France, nous allons déployer 130 millions d’euros dans le cadre de Digital Africa entre 2022 et 2025. »
G. Clemente
Synthèse
Le secteur du VC est en pleine explosion sur le continent, avec des investissements qui ont quadruplé en 2021. Afin de consolider un pipeline durable de pépites à investir, les entrepreneurs, pour amorcer le passage à l’échelle de leur société, ont besoin de la connaissance du marché des investisseurs et de leur soutien financier, qui fait encore défaut sur les petites séries et l’amorçage. Une structuration qui passe aussi par l’engagement d’investisseurs et de business angels locaux, mais aussi des gouvernements, pour couvrir les risques rencontrés aujourd’hui sur l’Early stage. La diaspora affiche également la capacité à devenir un acteur majeur de ces écosystèmes, de par sa double expertise de l’Europe et de l’Afrique.